Fil d’Ariane du forum – Vous êtes ici :ForumCycle 2 : Nos Chers Archétypes: Elan de vieÔ mon taureau ailé !
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Ô mon taureau ailé !

Ancrée. Ancrée. Poings et pieds liés. Ancré au sol. Chaîne de lignée rattachée entre mon corps et l’horizon fané. Je ne peux bouger. Sur le sol ancrée, clouée, mes ailes amputées par les rêves brisés des ancêtres dont je porte le nom, l’identité, le carcan hérité d’émotion refoulée. Sous le poids des secrets, ancrée, clouée, mes ailes amputées. Je ne suis pas née seule, des mains latex m’ont arrachée au giron maternel. On ne m’a pas laissé trouver la voix, privée de ce premier élan de vitalité… est-ce pour ça que je pousse depuis dans la direction de la lumière ? Ce premier élan, cette première poussée m’a été volée, alors je nourris ma vie de cette force impétueuse en me nourrissant de moi-même… Là, face contre sol, je vois des pieds passer, des pieds qui marchent, des pieds d’adultes qui ne s’arrêtent pas devant mon enfance refoulée. Perdue l’innocence dans l’écho de leur indifférence. Pas qui s’éloignent, ne ralentissent pas… Personne ne me voit, personne ne m’entend. C’est au passé que je convoque ces souvenirs d’antan.

Car dans la lumière de mes efforts, j’ai rencontré mon taureau ailé. À l’aube de ma vingtaine d’années, il s’est présenté. Suffit les boulets, suffit les chaînes et les combats isolés, c’était le premier à réellement me regarder. Confrontation, ça gratte, ça chatouille au dedans… C’est essentiel, et dérangeant… Il est là, s’avance vers moi, yeux dans les yeux, pour une fois, on me voit. Élan de vie, taureau ailé aux ailes dorées. Anneaux de feu dans les narines, sabots fougueux, fière poitrine… Robe noire luisante sous les rayons, cornes relevées, prête à tout déplacer…

Dans la lumière de mes espoirs, mon taureau ailé s’est présenté en s’adressant sans faux-semblants du haut de son éternité :

  • Cap ou pas cap ?
  • De quoi ? ai-je répondu.
  • De vivre enfin, de saisir l’élan, de transformer ta frustration en force visionnaire, de mettre ta poussée au service de ta destinée… Alors cap ou pas cap ? me défie-t-il du regard.

Silence médusé face à mon taureau ailé. Je n’ai pas peur, je suis intriguée.

  • Je n’ai pas besoin de toi, lui dis-je finalement en faisant la moue tel une enfant…
  • C’est si rare de retrouver l’enfance, c’est si dommage que ce ne soit jamais symbole d’innocence, me répond-il calmement.
  • Innocence, enfance… J’y suis indifférente, je n’ai pas besoin de toi, ni de personne… Je suis cap de tout, j’ai peur mais j’y vais… Je ferai tout ce qu’il est possible de faire si je trouve un moyen de libérer mon corps des fardeaux qui me tiennent ancrée, clouée et de retrouver mes ailes… Cap ou pas cap de me délivrer ?
  • Tu es ta propre chaîne…
  • Alors vas-t’en si tu ne peux m’aider… À moi, on ne m’a jamais rien donné ! J’ai pris, pris à la vie tout ce qu’il me fallait. Si tu es là, je suis avec toi, si tu n’es pas là, tu ne me manqueras pas. Je me sens allégée dans ma solitude, sans regard à affronter, pas de masque à porter, sans objectifs pour autrui, pas d’attente à combler, dans l’ennui je peux développer ma créativité…
  • Et comment est-ce que tu crées quoi que ce soit là, ici-bas ? Clouée au sol comme une corneille sans foi ? Je veux bien jouer au jeu de l’élan de vie si ça ne dure pas plus qu’un instinct de survie… J’ai d’autres pulsions à libérer, d’autres destinées à choyer…
  • Reste si tu le veux… Tu es de belle compagnie…
  • Alors jouons. Cap ou pas cap ?
  • Si je joue avec toi, je vais m’attacher… Et puis c’est sûr que c’est moi qui vais gagner, tu n’es qu’un taureau ailé, aux ailes dorées, moi je suis une femme, une fée, une louve, une mère, une fille, certes clouée mais à la puissance éternelle, infinie… Je suis restée tellement seule que j’ai réalisé ma force. Je suis restée tellement seule que je n’ai plus besoin de personne. Et puisqu’on ne m’a pas donné, j’ai appris à créer car je n’aime pas prendre ce qui est à autrui. Mais connectée à ma source, j’ai le puits d’énergie illimité pour créer mes réalités… Même ici, même enchaînée… D’ailleurs c’est peut-être le prix à payer pour la liberté ? C’est seulement quand on a plus personne à faire passer en premier que l’on peut prendre cette place de choix. J’ai tant lutté pour me l’accorder, si tu rentres dans le jeu de ma vie, je vais vaciller… Quand tu t’éloigneras, je me sentirai faible, seule, comme quand j’étais enfant, au pays où j’ai perdu l’innocence dans l’écho de leur indifférence. Pas qui s’éloignent, ne ralentissent pas… Personne ne me voit, personne ne m’entend.
  • Il me confronte maintenant du regard. : Viens avec moi, mes ailes aux ailes dorées te porteront. Pour t’envoler, il te suffit de te détacher, tu as dans ta main la clé de ta liberté, depuis toujours elle est là, devant toi… Cap ou pas cap ?
  • CAAAAAAAAAP ! Je n’ai même pas besoin de crocheter la serrure de la chaîne ou d’y glisser la clé, elle s’ouvre d’elle-même, elle n’a au final jamais été… J’ai 24 ans. Je redeviens enfant, je saute dans l’innocence… Élan de vie, élan de joie… Je me suis construite ma force sur ce rocher isolé. Aujourd’hui, c’est ma pulsion qui peut tout réaliser. Dans la solitude, j’ai pris confiance en mon estime. Je me sens prête à faire tribu sans dépendre… Me laisser apprivoiser en conscience, sans chercher à combler des vides laissés… J’ai réparé mes bouts de moi dans le regard de cet animal, désormais libérée, je peux tout faire, tout réaliser…

Mes ailes ratiboisées se mêlent à celles de mon taureau ailé aux ailes dorées, il m’envole au-delà d’une vision étriquée d’un moi désidentifié, j’avais oublié la vraie nature de l’humanité, être, jouer, créer, s’unir, faire communauté… Et depuis ce jour-là, c’est au passé que je convoque ces souvenirs d’antan… Depuis ce jour-là, je danse avec mes envies, mes pulsions de créations, mes illimités des possibles… Dans un vas, vis, deviens qui embrasse depuis ma destinée… Depuis cette rencontre avec mon taureau ailé aux ailes dorées, je célèbre chaque jour mes 13 ans d’élan pour savourer la vie et rattraper ces années d’enfance sans envie… À l’aube de mon adolescence, je saisis enfin par les ailes mon innocence.

Donne-moi un défi taureau Ô mon taureau ailé et je le relèverai ! Cap ou pas ? Je suis cap et capée pour le beau temps et pour la pluie…

Et sous ton coin de paradis, cher élan de vie, j’irai déposer mon ennui !